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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 12:00

Le sonnet - reproduit ci-dessous - ne respecte pas les règles dites classiques. Pour quelles raisons ?

        Les rimes du second quatrain sont toutes féminines, au lieu que soit pratiquée l’alternance masculin / féminin ;

        Le vers 8 n’est pas un alexandrin, ni classique, ni romantique. Pour être un alexandrin classique, il devrait se diviser en deux hémistiches, la fin du premier marquée par un accent tonique sur la syllabe six, ce qui n’est pas le cas, cet accent étant porté par la syllabe sept ; remarquer de plus que la césure sépare l’article de son nom (la // bile), ce qui est une anomalie du point de vue classique : les groupes ne devraient pas être séparés. Structure rythmique de ce vers (accents toniques en gras) : « D’une aube absente, où la bile enfin broie son foie ! », soit 4/3/3/2. Ici, l’effet rythmique tient au fait que chaque partie décroît d’une syllabe :
4 -> 3, puis 3 -  >2. Rien n’empêche d’explorer des cas autres que 6/6 (classique) et 4/4/4 (romantique).

 

Pour ce qui est de ce fameux « e » élidé, muet, caduque, tout ce qu’on veut : la règle édictée provient du fait que du temps de Malherbes, cette voyelle se prononçait, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, raison pour laquelle je ne l’applique généralement pas. Sinon, il faudrait chaque fois compter une syllabe en sa présence (et bien sûr la prononcer en toute cohérence), où que ce soit dans le vers, pas uniquement à l’hémistiche, et dans tous les vers autres qu’alexandrins. Il faudrait aussi prêter attention à sa présence dans certains mots comme "éternuement" lequel aujourd'hui ne compte que quatre syllabes et non cinq. Rien n'empêche de renouer de temps à autre avec cet archaïsme si cela nous chante bien à l'oreille... Pour quel motif réduire sa boite à outils ?

 

Examinons l’ensemble, sachant qu’une part d’arbitraire subsiste dans le choix des accents toniques à marquer.

 

Achève-moi ! Fous-moi du plomb dans la cervelle !

Que je ne pense plus et ne sente plus rien ;

Achève ton ouvrage, idiote et criminelle !

Abats celui qui refusa d’être ton chien !

 

O ! Que je dorme, dorme, et jamais ne m’éveille

D’une sommeil dénué de ves et de joie,

Que nul cauchemar trouble, ôe soit la merveille

D’une aube absente, où la bile enfin broie son foie !

 

Tourne une fois encor le couteau dans la plaie

Que le cœur soit enfin de part en part per,

Ne boive plus le lait à tes mammes de laie !

 

Dans le miroir du souvenir, ne vit Per

Ta face de Gorgone, et quand tomba ton masque,

Soudain se gélifia devant ton néant flasque.

 

4/2 // 2/4 (classique)

6 // 3/3 (classique)

2/4 // 2/4 (classique)

4/4/4 (romantique)

 

1/3/2 // 3/3 (classique)

3/3 // 2/4 (classique)

2/4 // 2/4 (classique)

4/3/3/2 ( ?)

 

1/5 // 3/3 (classique)

3/3 // 4/2 (classique)

2/4 // 3/3 (classique)

 

4/4/4 (romantique)

2/4 // 2/4 (classique)

2/4 // 2/4 (classique)

 

Le rythme, c’est donc jouer avec les symétries de la répartition des accents toniques. Plus le mètre est long (12, 14, 16), plus les combinaisons sont variées. L’effet d’écho de la rime s’estompe alors, il faut jouer avec d’autres choses : le rythme certes, les assonances et allitérations, rimes internes, et porter encore plus son attention sur ce qu’on néglige souvent, la phonétique : comment se répondent et s’enchaînent labiales, palatales, dentales, sifflantes et tutti quanti.

Un vers isolé devrait déjà, à lui tout seul, être beau, donc : aucun effet de rime en ce cas. Conséquence : un poème sans rime peut fort bien être réussi. Si la rime vient, tant mieux, sinon : ne pas être obsédé par elle. Mieux vaut une bonne absence qu’une présence forcée.

 

La distribution des rimes

abab cdcd efe fgg

correspond au sonnet shakespearien, lequel se compose de trois quatrains (rimes alternées) et un distique :

abab cdcd efef gg

 

Pour les rimes embrassées, Shakespeare pratiquait

abba cddc effe gg

soit donc dans la répartition usuelle :

abba cddc eff egg

 

En fait, chacun pratiquait ce qui lui passait par la tête, donc : pas de dogme. Une seule règle : si ça marche, c’est bon.

Si on a envie de trouver pour quelles raisons ça marche, alors on analyse. Quand on a trouvé quelques raisons - bricolages -, ça aide. Mais de là à pondre un canon... gasp !

 

- 12/04/2013 -

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10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 19:41

Ninon : Le fondement de la versification latine et grecque est la distinction entre les syllabes longues et les syllabes brèves. La prononciation d’une syllabe longue dure deux fois plus longtemps que celle d’une syllabe brève.

 

 La succession de ces syllabes obéit à des règles déterminées. Ainsi, pour reconnaître les différentes espèces de vers, il ne faut pas comme en français compter le nombre des syllabes, mais indiquer dans quel ordre se succèdent les brèves et les longues.

 

 Les vers, à l’origine, étaient chantés. Il y avait, à intervalles plus ou moins réguliers, des syllabes prononcées plus fortement que les autres. On appelait cette intensité temps fort. C’était le moment où, en battant la mesure, on frappait le sol du pied. On appelait donc pied un groupe de syllabes, l’une de ces syllabes étant un temps fort marqué par le pied frappant le sol.

 

 En versification française, on a d’abord appelé « pied », un groupe de deux syllabes. On disait ainsi que l’alexandrin était un vers de six pieds. On a fini par appeler pied, à tort, une seule syllabe.

 

 Il existait un très grand nombre de pieds utilisés soit selon le rythme voulu, soit selon le genre.

 

 Voici un vers de Virgile :

 

 Silvestrem tenui musam meditaris avena (Tu t’entraînes à une chanson sylvestre sur un léger pipeau)

 

 Ce vers se compose de six pieds.

 

 On le note ainsi :

 

Silves/trem tenu/i mu/sam medi/ taris a/vena

 

 --/-uu/--/-uu/-uu/--

 

 Les syllabes en caractères gras sont les temps forts.

 

 Les tirets représentent des syllabes longues, les « u » sont les brèves. Deux brèves équivalent une longue.

 

 On peut voir aussi qu'un pied pouvait être composé de la fin d'un mot et du début d'un autre.

 

 Césures, hiatus, synérèses, diérèses, élisions existaient aussi, mais je m’arrête là !

 

Source: Manuel des études grecques et latines de Laurand et Lauras.

 

Draco : Ainsi, le pied correspondrait à la mesure, soit en français, au groupe de syllabes contenues entre deux coupes. L'alexandrin classique régulier serait donc de 4 pieds, et le romantique de 3 pieds.

 - 4 pieds : (Je suis bel)(le ô mortel)(comme un rê)(ve de pierre)

 - 3 pieds : (De la douceur)(De la douceur)(De la douceur)

 - 5 pieds :(Entends)(ma chè)(re Entends)(la douce nuit)(qui marche)

 

 J'avais lu quelque part que le pied était une unité rythmique, sans que cette notion soit définie. Elle la trouverait ainsi.

 

A titre d’exemple, comment scandes-tu ces quelques vers ?

 

Non ego mendosos ausim defendere mores

 Falsaque pro vitiis arma movere meis.

 Confiteor, si quid prodest delicta fateri:

 In mea nunc demens crimina fassus eo.

 Odi, nec possum cupiens non esse quod odi ;

 Heu quam, quae studeas ponere, ferre grave est !

 (…)

 

 Je ne saurais défendre les mœurs légères

 Ni par des arguments trompeurs couvrir mes défauts.

 J’avoue, si le fait de reconnaître ses fautes est utile :

 A peine ai-je avoué que je recommence mes frasques tel un fou.

 Je hais, et ne puis m’empêcher de désirer l’objet de ma haine ;

 Qu’il est lourd à porter, hélas ! Ce que l’on souhaite quitter !

 (…)

 

 Ovide – Amours – Livre II – IV

 Traductrice : Danièle Robert

 

Ninon : En apparence seulement. En latin, le temps fort se trouve sur la première syllabe de chaque pied.

 

 Les pieds sont très nombreux. Voici les plus fréquents :

 le spondée --

 le dactyle -uu

 l'iambe u-

 le trochée -u

 l'anapeste uu-

 le tribraque uuu

 

 La poésie d'Ovide est en distiques élégiaques, c'est-à-dire un hexamètre suivi d'un pentamètre, les deux offrant un sens complet.

 

 L'hexamètre se compose de 6 pieds. Le cinquième pied est presque toujours un dactyle. Les quatre premiers sont à volonté des dactyles ou des spondées.

 

 Le pentamètre, qui ne s'emploie jamais seul, se compose de 2 groupes de 2 pieds 1/2 séparés par une césure.

 1) 2 dactyles ou spondées + une syllabe longue.

 2) 2 dactyles + une syllabe longue.

 

 Voici, sous réserve d'erreur possible de ma part, la scansion des hexamètres, c'est-à-dire des vers 1,3,5 :

 

 -uu/--/--/--/-uu/--

 

 -uu/--/--/--/-uu/--

 

 --/--/-uu/--/-uu/--

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10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 18:58

La qualification de la rime s'appuie sur trois éléments :

 - voyelle terminale, rime pauvre : aimer / traiter

 - voyelle terminale + consomme d'appui, rime suffisante : aimer/armer

 - voyelle terminale + consomme + avant dernière voyelle, rime riche : entamais / rétamais ; cet exemple est d'ailleurs plus que riche puisqu'il porte sur 4 unités : "t"+"a"+"m"+"ais".

 L'exigence classique va plus loin puisqu'elle prohibe la rime fondée sur des mots de même racine, p.e.: mener/malmener.

 Enfin, il faudrait respecter une totale correspondance phonétique, soit proscrire les quasi-rimes du type manger/dérangé.

 

D'après l'alphabet phonétique, il n'existerait pas de différences entre '-er' et '-é', donc la rime serait acceptable. Cela dit, cette différence orthographique permet qu'entre le sud et le nord de la France, les prononciations soient différentes. Une volonté formaliste qui n'intègre pas la variété de la réalité souffre à mon sens d'un défaut de rigueur. D'une façon générale, je ne pense pas beaucoup de bien des sciences dites humaines, plus soucieuses souvent de ressembler à une science que d'en être une.

 Pour la raison avancée ci-dessus, de telles terminaisons en toute rigueur ne riment pas. Mais qui pratique une telle rigueur extrême ? En tenant compte des usages locaux et des époques, ainsi que des facilités que l'on s'accorde, alors : pourquoi ne pas faire rimer ?

 Je ne considère pas que les sons soient identiques, mais que leur différence est négligeable. A chacun de savoir où placer sa barre de la négligence.

 

Nous devrions faire "en toute rigueur" la différence entre les rimes -er et -é, malgré l'identité conventionnelle phonétique.

 Pour la qualité de la rime, nous distinguons la pauvre, la suffisante,t la riche et la léonine. Ainsi, "peureux" et "heureux" seraient des riches, tandis que "l'heureux" et "valeureux" seraient des léonines. Il y aurait donc 4 niveaux :

 - pauvre [eux],

 - suffisante [r + eux],

 - riche [eu + r + eux],

 - léonine [l + eu + r + eux] = 2 syllabes identiques.

 

Il n’existe  pas le lien entre rime, qui est un phénomène d'écho, et rythme qui résulte de la répartition des accents toniques dans chaque vers. La qualité d'un vers, et par suite d'un poème, ne se réduit pas à la présence de la rime alors qu'on ne peut se dispenser du rythme. On peut écrire de très beaux vers sans rime.

 

Qu’en est-il des rimes telles que « manger » et « démanger » ? En toute rigueur, une telle rime est interdite car elle emploie deux mots de même radical "manger".

 Un mot dans le cas le plus général est composé de trois parties, une préfixe, un radical (ou racine), et un suffixe (terminaison). Par exemple : suralimentation se décompose en sur-aliment-ation. Parfois, il n'y a pas de terminaison, p.e.: aliment.

Nous ne pouvons donc faire rimer "alimentation" avec "suralimentation", ni "nutriment" avec "dénutriment". Mais nous pouvons faire rimer "aimantation" avec "alimentation". Pouvons-nous faire rimer "aimant" (le verbe) avec "aimant" (le matériau)? Non, car chacun caractérise une attraction due, physiquement ou métaphoriquement, au verbe aimer (amare). Bref, nous ne pouvons utiliser deux fois le même mot terminal ayant même signification bien qu'habillé de deux manières différentes.

 Cela dit, chacun reste libre dès lors que ça sonne bien et que ce n'est pas signe d'insuffisance.

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10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 18:38

Que penser de la rectitude de ceux qui demeurent piégés en un dogme canonique : hors la Pléïade, point de salut !

La beauté n’est pas la conformité, place au jeu !

Après un retour aux sources, l’exemple vient d’en haut.

 

Différents types de sonnets : origines, lieux, auteurs

 

·       L'école sicilienne (Frédéric II . 1194 - 1250)

 abab abab cde cde/cdc cdc

 hendécasyllabe

 

·       Pétrarque (Canzoniere)

 abba abba cdc cdc

 abba abba cde cde

 disposition des tercets en ccd prohibée

 

·       France

 

 Au XVIe siècle Mellin de Saint-Gelais et Clément Marot l'introduisent en France, l'empruntant à Pétrarque.

 Marot (sonnet italien ou marotique) : abba abba ccd eed

 Joachim du Bellay (sonnet français) : abba abba ccd ede

 Ronsard : sonnet marotique + alternance des rimes féminines et masculines + alexandrin

 

·       Angleterre (influence Baudelaire)

 

 Edmund Spenser (XVIème siècle)

 abab bcbc cdcd ee (sonnet spensérien)

 

 Sonnet Shakespirien

 abab cdcd efef gg

 abba cddc effe gg

 

·       Castille (XVIème siècle)

 

 abba abba cde cde

 abba abba cde dce

 abba abba cdc dcd

 

 

Les écarts de :

 

 Rimbaud

 

 Sonnet layé : raccourcir un vers sur deux (12 / 6 / 12 / 6 - 12 / 8 / 12 / 8 - 12 / 12 / 6 - 12 / 12 / 6)

 abab cdcd eef ggf

 

 L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose

 Avec des coussins bleus.

 Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose

 Dans chaque coin moelleux.

 

 Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,

 Grimacer les ombres des soirs,

 Ces monstruosités hargneuses, populace

 De démons noirs et de loups noirs.

 

 Puis tu te sentiras la joue égratignée...

 Un petit baiser, comme une folle araignée,

 Te courra par le cou...

 

 Et tu me diras : " Cherche ! " en inclinant la tête,

 - Et nous prendrons du temps à trouver cette bête

 - Qui voyage beaucoup...

 

 Nerval

 

 abba abba cdc ddc

 

 La connais-tu, Daphné, cette vieille romance

 Au pied du sycomore... ou sous les mûriers blancs,

 Sous l'olivier plaintif, ou les saules tremblants,

 Cette chanson d'amour, qui toujours recommence ?

 

 Reconnais-tu le Temple au péristyle immense,

 Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents,

 Et la grotte fatale aux hôtes imprudents

 Où du serpent vaincu dort la vieille semence ?

 

 Sais-tu pourquoi, là-bas, le volcan s'est rouvert ?

 C'est qu'un jour nous l'avions touché d'un pied agile,

 Et de sa poudre au loin l'horizon s'est couvert !

 

 Depuis qu'un Duc Normand brisa vos dieux d'argile,

 Toujours sous le palmier du tombeau de Virgile

 Le pâle hortensia s'unit au laurier vert.

 

 

 abab abba cdc cdc

 

 La Treizième revient... C'est encor la première ;

 Et c'est toujours la Seule, - ou c'est le seul moment :

 Car es-tu Reine, ô Toi! la première ou dernière ?

 Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant ? ...

 

 Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;

 Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement :

 C'est la Mort - ou la Morte... Ô délice ! ô tourment !

 La rose qu'elle tient, c'est la Rose trémière.

 

 Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,

 Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule,

 As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux ?

 

 Roses blanches, tombez ! vous insultez nos Dieux,

 Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :

 - La sainte de l'abîme est plus sainte à mes yeux !

 

 

 abab abab cdd cee

 

 Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,

 Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :

 Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé

 Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

 

 Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,

 Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

 La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,

 Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

 

 Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ?

 Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;

 J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...

 

 Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :

 Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée

 Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

 

 Baudelaire

 

 abba baab aac dcd

 

 Je te donne ces vers afin que si mon nom

 Aborde heureusement aux époques lointaines,

 Et fait rêver un soir les cervelles humaines,

 Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

 

 Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,

 Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,

 Et par un fraternel et mystique chaînon

 Reste comme pendue à mes rimes hautaines ;

 

 Etre maudit à qui, de l'abîme profond

 Jusqu'au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond !

 - Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

 

 Foules d'un pied léger et d'un regard serein

 Les stupides mortels qui t'ont jugée amère,

 Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain !

 

 

 Polaire : abba ccd eed fggf

 

 Tout homme digne de ce nom

 A dans le coeur un Serpent jaune,

 Installé comme sur un trône,

 Qui, s'il dit : " Je veux ! " répond : " Non ! "

 

 Plonge tes yeux dans les yeux fixes

 Des Satyresses ou des Nixes,

 La Dent dit : " Pense à ton devoir ! "

 

 Fais des enfants, plante des arbres,

 Polis des vers, sculpte des marbres,

 La Dent dit : " Vivras-tu ce soir ? "

 

 Quoi qu'il ébauche ou qu'il espère,

 L'homme ne vit pas un moment

 Sans subir l'avertissement

 De l'insupportable Vipère.

 

 

 abab efef ggh ihi

 

 Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,

 Traversé çà et là par de brillants soleils ;

 Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,

 Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

 

 Voilà que j'ai touché l'automne des idées,

 Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux

 Pour rassembler à neuf les terres inondées,

 Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

 

 Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve

 Trouveront dans ce sol lavé comme une grève

 Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

 

 - Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,

 Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur

 Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

 

 Verlaine

 

 abba aabc cde ffe

 

 Mon cher enfant que j'ai vu dans ma vie errante,

 Mon cher enfant, que, mon Dieu, tu me recueillis,

 Moi-même pauvre ainsi que toi, purs comme lys,

 Mon cher enfant que j'ai vu dans ma vie errante !

 

 Et beau comme notre âme pure et transparente,

 Mon cher enfant, grande vertu de moi, la rente,

 De mon effort de charité, nous, fleurs de lys !

 On te dit mort... Mort ou vivant, sois ma mémoire !

 

 Et qu'on ne hurle donc plus que c'est de la gloire

 Que je m'occupe, fou qu'il fallut et qu'il faut...

 Petit ! mort ou vivant, qui fis vibrer mes fibres,

 

 Quoi qu'en aient dit et dit tels imbéciles noirs

 Compagnon qui ressuscitas les saints espoirs,

 Va donc, vivant ou mort, dans les espaces libres !

 

 Mallarmé

 

 abab cdcd eff egg

 

 Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête

 En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser

 Dans tes cheveux impurs une triste tempête

 Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :

 

 Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes

 Planant sous les rideaux inconnus du remords,

 Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,

 Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.

 

 Car le Vice, rongeant ma native noblesse

 M'a comme toi marqué de sa stérilité,

 Mais tandis que ton sein de pierre est habité

 

 Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,

 Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,

 Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

 

 

 abab abab cdd cee

 

 Cependant que la cloche éveille sa voix claire

 A l'air pur et limpide et profond du matin

 Et passe sur l'enfant qui jette pour lui plaire

 Un angelus parmi la lavande et le thym,

 

 Le sonneur effleuré par l'oiseau qu'il éclaire,

 Chevauchant tristement en geignant du latin

 Sur la pierre qui tend la corde séculaire,

 N'entend descendre à lui qu'un tintement lointain.

 

 Je suis cet homme. Hélas ! de la nuit désireuse,

 J'ai beau tirer le câble à sonner l'Idéal,

 De froids péchés s'ébat un plumage féal,

 

 Et la voix ne me vient que par bribes et creuse !

 Mais, un jour, fatigué d'avoir enfin tiré,

 Ô Satan, j'ôterai la pierre et me pendrai.

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10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 18:19

On distingue différents arrangements : sicilien, pétrarquien, shakespearien, spencerien, marotique (italien), français (du Bellay), castillan, et sans doute en trouverait-on d’autres tant chacun y est allé de son originalité…

 

 Composé de quatorze vers habituellement regroupés en deux quatrains et deux tercets, rien ne nous empêche de regrouper ces vers en trois quatrains terminés par les deux vers restants, juste pour voir.

 

 Examinons ce que cela donne pour les trois types de rimes : alternées, embrassées et suivies.

 Pour les rimes alternées, nous obtenons :

 Abab abab abab cc

 Pour les rimes embrassées, nous obtenons :

 Abba abba abba cc

 Pour les rimes suivies, nous obtenons :

 Aabb aabb aabb cc

 En redisposant suivant le schéma du sonnet, cela donne :

 Pour les rimes alternées :

 Abab abab aba bcc

 Pour les rimes embrassées, nous obtenons :

 Abba abba abb acc

 Pour les rimes suivies, nous obtenons :

 Aabb aabb aab bcc

 

 D’autres dispositions cohérentes s’obtiennent par rotations. Par exemple :

 Pour les rimes alternées :

 Baba baba bab cca

 Pour les rimes embrassées, nous obtenons :

 Bbaa bbaa bba cca

 Pour les rimes suivies, nous obtenons :

 Abba abba abb cca

 

 Une rotation de plus ?

 Pour les rimes alternées :

 Abab abab abc cab

 Pour les rimes embrassées, nous obtenons :

 Baab baab bac cab

 Pour les rimes suivies, nous obtenons :

 Bbaa bbaa bbc caa

 

 Soit en tout trois fois quatorze dispositions à tester, c.à.d. quarante deux !

 

 Quelle règle se donner dans le cas du sonnet polaire ? Même réponse, multipliée par deux par effet miroir sur les tercets.

 Pour les rimes alternées, nous obtenons :

 Abab aba bcc abab

 Abab bcc aba abab

 Pour les rimes embrassées, nous obtenons :

 Abba abb acc abba

 Abba acc abb abba

 Pour les rimes suivies, nous obtenons :

 Aabb aab bcc aabb

 Aabb bcc aab aabb

 

 Soit donc quatre vingt quatre dispositions supplémentaires à tester !

 

 Bien sûr, l’exploration méthodique peut se prolonger, ainsi de terminer chaque quatrain par un tercet, ce qui donne :

 Pour les rimes alternées, nous obtenons :

 Abab aba baba bcc

 Pour les rimes embrassées, nous obtenons :

 Abba abb aabb acc

 Pour les rimes suivies, nous obtenons :

 Aabb aab baab bcc

 

 Ce qui rajoute encore quarante deux dispositions… Qui veut en trouver d’autres ?

 

 En fait, des redondances apparaîtront qui diminueront ce nombre de dispositions, mais cela reste une quantité raisonnable à parcourir, non ?

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10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 18:08

"Canzonne", inspirée de Pétrarque. Introduite en Italie au XIIIème siècle, les règles en furent fixées par Dante ("De vulgari eloquentia"). Elle se compose d’un "fronte" sur sept vers, d’une "sirma" sur cinq vers et s’achève par un "congedo" ou "commiato" sur deux vers, chaque partie se terminant par un distique ("distico finale"). Le premier vers des deux premières strophes porte le doux nom de "chiave".

 La distribution des rimes est : abcbacc / deedd / ff.

 La convention française standard impose l’alternance du genre des rimes.

 La structure porte donc sur un ensemble monostrophique de quatorze vers. Le poème peut comporter autant de telles strophes que voulues.

 A titre d’exemple, je me suis risqué à ça :

 

Des goûts et des couleurs il ne faut discuter,

Car le monde est divers, et que cela nous plaise

Ou non, ce pluriel seul nous permet d’être là.

Je sais nombre discours n’être que des fadaises ;

S’échauffent bien des cœurs ! A quoi bon disputer

Sur le lieu d’un bouton qui bientôt tombera ?

Je ne sais d’édifices que temps n’enterra.

Mélanger et le sucre et le sel, voilà tout !

Mélanger et goûter, il n’est d’autre recette.

Si notre orgueil demeure au plus près de la bête

Pour trouver autre met, il faut être un peu fou

Et laisser mijoter l’essai dans le faitout…

Bien que désespérant d’un jour trouver la chose,

Je continue d’écrire, et d'encor rêver ose !

 

 La « Canzonne », qui comporte quatorze vers, est une des origines du sonnet, lequel est une fusion de plusieurs autres modèles. On pourrait délirer un peu le sonnet de ses bonnes habitudes en adoptant la distribution rimique de la « canzonne », ce qui donnerait :

 

Des goûts et des couleurs il ne faut discuter,

Car le monde est divers, et que cela nous plaise

Ou non, ce pluriel seul nous permet d’être là.

Je sais nombre discours n’être que des fadaises ;

 

S’échauffent bien des cœurs ! A quoi bon disputer

Sur le lieu d’un bouton qui bientôt tombera ?

Je ne sais d’édifices que temps n’enterra.

Mélanger et le sucre et le sel, voilà tout !

 

Mélanger et goûter, il n’est d’autre recette.

Si notre orgueil demeure au plus près de la bête

Pour trouver autre met, il faut être un peu fou

 

Et laisser mijoter l’essai dans le faitout…

Bien que désespérant d’un jour trouver la chose,

Je continue d’écrire, et d'encor rêver ose !

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9 janvier 2013 3 09 /01 /janvier /2013 02:14

 

Tout est basé sur la respiration. Lorsque nous parlons, nous émettons un certain nombre de syllabes entre deux reprises de souffle. Assez peu, de l’ordre de trois ou quatre. Apparaît donc une mesure entre ces deux reprises qui la délimitent. Nous les marquons par des accents toniques. La mesure est donc la durée entre deux accents toniques, une durée quasi fixe liée à notre temps d’énonciation. Chaque reprise de souffle nécessitant une durée, il en résulte que chaque accent tonique est suivi d’une pause. Cette pause marque une coupe dans l’énonciation. Une pause un peu plus longue est dite césure. Sous l’effet de l’émotion, le nombre de syllabes contenu dans une mesure peut varier, le débit s’accélère ou ralentit : c’est le rythme. Il en résulte la scansion du vers ou de la phrase.

Les syllabes sont valuées par les voyelles, sauf par le « e » en fin de mot, souvent dit muet. Il existe pourtant, et se manifeste, d’une part en permettant l’expression de la consonne le précédant sur laquelle il s’appuie, d’autre part en occupant toute sa durée propre, laquelle agit comme un silence. Il apporte donc un calme, un apaisement, dans le flot des syllabes. De son mutisme résulte que,  suivi d’une voyelle, il s’efface pour laisser entendre celle-ci : rouge arboré s’entend roujarboré.

Le vers, lequel est initialement destiné au chant, se fonde uniquement sur ces contraintes rythmiques, quel que soit son mètre (longueur du vers compté en nombre de syllabes).

On dispose donc de mesures de base de trois ou quatre syllabes, lesquelles permettent de construire des vers d’un mètre quelconque voulu ; ainsi, avec toutes les commutations possibles :

 

1 = pas de vers avec ce mètre, sauf pour jouer, peut intervenir dans un vers, par exemple comme interjection

2 = une « demi mesure » : même chose que précédemment

3 = une mesure entière, mais rarement suffisante pour composer un vers : même chose que précédemment

4 = une mesure entière, mais rarement suffisante pour composer un vers : même chose que précédemment

2 + 3 = pentasyllabe, du fait la « demi-mesure », ce mètre est assez lourd, il a le souffle court. Dans tout vers de mètre supérieur, où il pourrait intervenir, on lui préférera de ce fait une combinaison de mesures l’évitant

3 + 3 =  hexasyllabe

4 + 3 = heptasyllabe

4 + 4 = octosyllabe

3 + 3 +3 = énéasyllabe

4 + 3 + 3 = décasyllabe

3 + 4 + 4 = endécasyllabe

3 + 3 + 3 + 3 = 4 + 4 +4 = dodécasyllabe

3 + 3 + 3 + 4 = 13-syllabe

3 + 3 + 4 + 4 = do heptasyllabe

3 + 4 + 4 + 4 = 3 + 3 + 3 + 3 + 3 = 15-syllabe

4 + 4 + 4 + 4 = 3 + 3 + 3 + 3 + 4 = do octosyllabe

 

On peut continuer aussi longtemps que cela nous plait. Les possibilités de choix rythmique s’accroissent, au scripteur de montrer son habileté.

 

Puis vint la volonté de formaliser… Volonté de réduire la croissance de cette complexité ? Ne pas s’aventurer au-delà du dodécasyllabe, et de lui ne retenir que l’architecture fondée sur la mesure 3 impliquant que la coupe en son milieu devienne césure définissant deux hémistiches de mètre six. Cela dit, en chaque hémistiche, la mobilité de l’accent tonique n’est pas censurée, ce qui laisse un peu de fantaisie. Hugo, mais il me semble Lamartine avant lui, rompra avec ce diktat, donnant ainsi naissance à l’alexandrin romantique qui porte son nom.

 

Avant d’aller plus loin, notons :

x = syllabe

X = accent tonique (soulignés)

_ = silence

/ = coupe

// = césure

/…/ = mesure

 

Examinons quelques cas de dodécasyllabes.

 

Dodécasyllabe

Voisdans quel silence me plonge ton départ (1/4/3/4)

X / x x x X / _ x X / _ x x X

Alexandrin

Vois en quel désarroi me plonge ton départ (1/5//2/4)

X / x x x x X // x X / _ x x X

Alexandrin

Ce temple calme et beaugne la Pythie (2/4//2/4)

x X / x x x X // x X / _ x x X

Alexandrin

J’ai vu en tes beaux yeux les nuages passer (2/4//3/3)

x X / x x x X // x x X / _ x X

 

Alexandrin romantique (hugolien ou « trimètre »)

Tu m’as laissé en ce désert sans oasis (4/4/4)

x x x X / x x x X / x x x X

 

De la douceur, de la douceur, de la douceur (4/4/4)

x x x X / x x x X / x x x X

 

Mais le choix entre alexandrin classique ou romantique est parfois ambigu. Empruntons à Verlaine et Baudelaire :

 

Je fais souvent, ce rêve étrange et pénétrant (4/4/4)

x x x X / x x x X / x x x X

Qu’on pourrait lire

Je fais souvent, ce ve étrange et pénétrant (4/2//2/4)

x x x X / x X // x X / x x x X

 

Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a (4/2//2/2/2)

x x x X / x X // x X / x X / x X

Qu’on pourrait lire

Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a (4/4/4)

x x x X / x x x X / x x x X

 

Entends, ma chère, entends la douce nuit qui marche. (2/2/2//2/2/2)

x X / x X / x X // x X / _ x / x X

Qu’on pourrait lire

Entends, ma chère, entends la douce nuit qui marche. (4/4/4)

x x x X / x x x X / _ x x X

 

Outre la scansion introduite par les accents toniques, et les effets de rythme dus au nombre de syllabes par mesure, il importe de remarquer l’influence des pauses attachées aux coupes « / », aux césures « // », aux silences « _ », et à la façon avec laquelle ceux-ci s’enchaînent. C’est cela qui rend les deux derniers vers cités de Verlaine et Baudelaire si remarquables, en particulier cet effet d’étirement renforcé lié à la coupe enjambante « /_ » dans celui de Baudelaire (le plus beau de la langue française d’après Valéry).

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